Mis à jour le 28 août 2024
L’Afrique du Nord est plus divisée que jamais, mais que serait-elle si, un jour, les États la composant arrivaient à résoudre leurs différends et à instaurer une union semblable à celle de l’Union européenne ?
Des côtes de la Mauritanie, du Sahara Occidental et du Maroc sur Atlantique aux extrêmes confins orientaux de la Libye vivent des peuples frères ont en commun le couscous pour plat de fête et de deuil, des racines remontant aux premiers Amazighs, des langues locales qui ne diffèrent que légèrement d’une région à une autre et une riche culture commune basée sur l’élément fondamental qu’est l’amazighité, enrichie par les apports arabo-islamiques, latins, français et subsahariens. La continuité culturelle et même sociale -à quelques exceptions près- est donc évidente sur toute l’Afrique du Nord. Toutefois, les régimes en place, les différends politiques et les frontières héritées de la colonisation européenne ont tracé des États qui, chacun, revendique sa souveraineté sur un territoire arbitrairement délimité, coupant même des villages, des terres appartenant aux mêmes familles et séparant ce qui n’aurait jamais dû l’être. Est-ce une fatalité ? Non, à en croire ce qui s’est fait ailleurs, là où des pays qui se firent la guerre pendant des siècles forment aujourd’hui des espaces communs, unis et homogènes, au sein desquels s’épanouissent les peuples et les économies conférant à l’espace une puissance supérieure à la somme de celles de chacun des pays en faisant partie.
Peut-on donc rêver de la même chose pour l’Afrique du Nord ? Oui, sans doute. Même si le projet est ambitieux et nécessite la levée d’innombrables blocages et le règlement d’inextricables complications, le rêve est permis. Mais alors, à quoi ressemblerait une Afrique du Nord unie ?
Une immensité géographique ouverte sur le monde
L’Afrique du Nord composée, d’ouest en est, de la Mauritanie, du Sahara Occidental, du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie et de la Libye est un immense espace géographique. Ce dernier comporte des zones désertiques, des massifs montagneux impressionnants, des forêts, des lacs, des fleuves et un long littoral méditerranéen et atlantique. Il est indéniable qu’il existe une continuité géographique parmi ces pays et les frontières qui délimitent ces derniers sont évidemment le fruit de l’arbitraire colonial. Le Sahara qui représente la vaste majorité de ce territoire ne connaît pas de frontière naturelle, tout comme le massif montagneux de l’Atlas qui s’étend de la pointe orientale de la Tunisie au littoral atlantique du Maroc. Il abrite une faune et une flore exceptionnelles ainsi qu’une culture montagnarde millénaire dont les représentants sont culturellement très similaires Cette continuité géographique est même signalée par la présence de villages et de territoires coutumiers à cheval sur ces frontières. Les tribus nomades terguies du sud ne reconnaissent ainsi pas les frontières entre l’Algérie, la Libye et la Tunisie et se sont toujours déplacées librement entre ces trois pays sans se soucier des formalités douanières ou policières. Pis encore, certaines familles ont aujourd’hui des branches séparées géographiquement par les frontières entre deux États nord-africains, comme c’est le cas de ces nombreuses familles que l’on retrouve aussi bien à Oujda qu’à Tlemcen, mais qui ne peuvent se rendre visite qu’en voyageant en avion et souvent en faisant escale en Europe, ce qui est le summum de l’ironie.
Malgré cette continuité géographique et culturelle, l’Afrique du Nord est compartimentée par des frontières tracées au cordeau et les habitants de la région se voient restreints dans leurs déplacements et même dans leurs activités pastorales et agricoles. L’union de l’Afrique du Nord aurait pour premiers fruits, ou premières prémices, la levée de ces restrictions et l’ouverture de ce vaste espace à la libre circulation des personnes et des biens. Le quotidien de millions d’habitants serait alors transformé, en mieux. La continuité géographique et culturelle se traduirait alors par une continuité socio-économique qui ne peut avoir sur l’économie que des effets positifs.
L’union de l’Afrique du Nord donnerait naissance à un territoire de près de 6 millions de kilomètres carrés qui serait classé au septième rang mondial des États et territoires les plus étendus, loin devant l’Union Européenne qui, en 2024, a une superficie de 4,47 millions de kilomètres carrés. L’ouverture des frontières et l’abandon des contrôles des voyageurs au sein de cet espace n’auraient pas que des répercussions d’ordre pratique sur le quotidien des citoyens nord-africains. Cette ouverture aurait aussi des effets bénéfiques sur le tourisme et les investissements, ces derniers étant toujours favorisés lorsque la mobilité est facilitée.
En plus d’être un des espaces politiques continus les plus vastes du monde, l’Afrique du Nord unie serait aussi très centrale. Elle représenterait une incontournable charnière entre trois continents, reliant par les airs, la mer et la terre le Moyen-Orient, l’Afrique subsaharienne et l’Europe. La mutualisation des efforts en matière d’infrastructures de transport dans le cas d’une Afrique du Nord unie, ferait alors de cette région un hub mondial pour le transport des personnes et des biens. L’attrait pour les compagnies de transport aérien, celles spécialisées dans le transport de fret par mer et par air et autres sociétés de logistique serait tel, que l’économie de la région en serait transfigurée.
Une irrésistible attractivité économique
La somme des produits intérieurs bruts des six pays de l’Afrique du Nord était en 2022 d’un peu plus de 410 milliards de dollars. Un chiffre déjà respectable qui place l’Afrique du Nord dans la première partie du classement mondial des pays par leurs PIB nominaux. Mais ce chiffre pourrait être sensiblement augmenté grâce à la meilleure attractivité économique qu’aurait une Afrique du Nord unie. En plus d’en faire un hub mondial pour le de transport de personnes et de marchandises, l’union permettrait à l’Afrique du Nord d’attirer de nombreuses entreprises par les avantages certains qu’elle offrirait à ces dernières : énergies disponibles à foison, main d’œuvre qualifiée, diplômée, nombreuse et mobile sur un vaste territoire, en plus de la disponibilité de diverses matières premières, aussi bien agricoles que minières. La stabilité politique et sociale qu’impliquerait l’union serait, elle aussi, un atout de taille en faveur de l’économie nord-africaine. La région peut donc attirer des entreprises qui s’installeraient pour le marché que représente l’espace commun, mais aussi pour le coût réduit de la production, et ce, dans une perspective d’exportation vers les marchés africain et européen. Cette dernière étant, elle aussi, favorisée par le nœud logistique mondial que représenterait alors la région. Les géants de l’agro-alimentaire, du textile, de l’automobile, de l’aéronautique, de l’électronique et de tant d’autres industries auraient bien moins de réticences à s’installer dans un de ces six pays tant les avantages d’une telle implantation deviendraient évidents grâce à l’union et à l’ouverture qu’offrirait cette dernière. À titre d’exemple, une société d’électronique qui produit pour l’Europe, aurait tout à gagner à s’installer en Tunisie. Elle profiterait alors d’une main d’œuvre locale compétente, bénéficierait des ressources énergétiques algériennes (déjà connectées au pays) et des ressources minières, y compris de métaux rares, présents en Algérie, au Maroc et en Libye. L’entreprise aurait à disposition toutes les ressources nécessaires à portée de camion ou de train, sans recourir à de lointaines et coûteuses importations, ce qui représenterait pour elle une économie certaine, puisqu’une Afrique du Nord unie implique la suppression des barrières douanières entre les six pays.
Avec sa richesse en énergies, en main d’œuvre qualifiée et en matières premières, l’Afrique du Nord n’aurait ainsi pas de mal à se hisser au rang des premières puissances économiques mondiales et le PIB par habitant de chaque pays serait alors bien plus élevé que ses valeurs actuelles. L’union serait alors synonyme de progrès économiques et sociaux et de grande prospérité.
Une puissance démographique de premier ordre
Une Afrique du Nord Unie représenterait plus de 110 millions d’habitants dont une grande majorité de jeunes. La proportion d’actifs dans cette population serait une des plus élevées au monde, ce qui conférerait à l’espace commun une puissance démographique certaine. L’Afrique du Nord est un des grands pourvoyeurs de l’Europe en main d’œuvre qualifiée et non-qualifiée. On retrouve ainsi ces pays en tête des classements des pays d’origine des migrants dans plusieurs pays de l’UE, notamment la France, l’Espagne et l’Italie. L’union des six pays permettrait des progrès économiques certains et offrirait un cadre de vie tel que les jeunes actifs nord-africains auraient moins tendance à l’expatriation. Cette main-d’œuvre profiterait à l’économie locale et à la stabilité régionale. Un cercle vertueux se formerait alors entre l’amélioration des conditions de vie grâce à l’intégration politique et économique en Afrique du Nord qui encourage à une mobilité intracommunautaire qui, à son tour, renforce l’économie locale.
Un espace plus stable, mieux protégé
La sécurité est depuis toujours une des grandes préoccupations des six États d’Afrique du Nord. Chacun de ces derniers dépense des sommes faramineuses pour entretenir une armée et des forces de police et de gendarmerie. Ainsi, rien qu’en 2023, l’Algérie a dépensé 22 milliards pour son armée et le Maroc 5,2 milliard. Les dépenses militaires de la Tunisie et de la Libye sont plus modestes, mais ceci se justifie par la tradition peu militaire du premier pays et par les conditions particulières que traverse le second. La Mauritanie est, quant à elle, une des moins dotées, même si depuis quelques années, ses dépenses militaires ont connu une certaine envolée à cause des défis sécuritaires auxquels le pays fait face.
Ces dépenses astronomiques sont principalement le résultat de la méfiance actuelle qui règne entre plusieurs de ces six pays, notamment entre le Maroc et l’Algérie, que les questions du Sahara Occidental et de la cause palestinienne divisent depuis des années. Si demain ces pays sont unis dans un ensemble intégré, cela impliquerait nécessairement le règlement préalable de tous les litiges et malentendus qui tendent les relations bilatérales. Il en résulterait une détente générale sur le plan sécuritaire et un renforcement de la coopération militaire et sécuritaire. L’Afrique du Nord unie serait alors un espace plus sûr pour ses habitants, car plus tourné vers sa protection des dangers extérieurs que ceux que représentent à tort ou à raison les pays voisins. Ainsi, les dépenses militaires de chacun de ces pays pourraient être réduites et il serait possible d’imaginer la signature de pactes de protection et d’assistance mutuelle. Une sorte d’OTAN nord-africain permettrait non seulement une plus grande sérénité pour ces pays sur le plan sécuritaire, mais ouvrirait aussi les possibilités de coopération dans le développement d’industries militaires locales avec ou sans l’apport technologique de pays tiers. La mutualisation des efforts sécuritaires entre les six pays réduirait les dépenses tout en améliorant le niveau de sécurité pour tous. Le nouvel espace commun pourrait alors peser de tout son poids dans la prise de décisions sur le plan mondial, y compris dans un contexte martial. Les effectifs militaires combinés des six pays, en tenant compte des effectifs officiels de chaque pays en 2024, seraient alors de plus de 630 000 hommes et femmes, plaçant l’union dans le top 10 des puissances militaires conventionnelles mondiales. Le poids de ce nouvel ensemble intégré en Afrique, mais aussi en méditerranée serait alors déterminant et les grandes questions géopolitiques ne pourraient plus être tranchées aux dépens des citoyens de ces pays.
L’espace commun serait ainsi mieux protégé et les mobilités y seraient mieux contrôlées qu’elles ne le sont aujourd’hui au niveau de chaque entité étatique. L’Afrique du Nord unie pourrait, in fine, peser de tout son poids dans les politiques sécuritaires et migratoires internationales, notamment européennes, et déjouer tout chantage de la part des pays du Nord de la Méditerranée comme nous en voyons depuis quelques années.
Une union pour affronter l’avenir sereinement
L’union politique de l’Afrique du Nord serait un pas de géant pour les États de cette région. Elle permettrait aux citoyens de ces pays de jouir de plus de stabilité politique, de plus de sécurité et d’un développement économique inédit pour eux. Le niveau de vie s’en verrait certainement augmenté de façon sensible, ce qui règlerait, ne serait-ce qu’en partie, le problème migratoire. L’union serait un cadre propice à la coopération technologique et à la mutualisation des investissements dans des projets de taille comme le solaire, le dessalement d’eau de mer, les diverses industries, l’irrigation et l’agriculture. Une Afrique du Nord unie serait alors un vaste espace serein, riche, mieux protégé, homogène et cohérent avec son histoire et sa culture. Au final, une telle union placerait sur la carte du monde une nouvelle puissance, une entité quasi fédérale de plus de 6 millions de kilomètres carrés, occupés par plus de 110 millions d’habitants dont une majorité de jeunes, produisant au moins 410 milliards de dollars américains de PIB par an, investirait des dizaines de milliards pour la défense et la sécurité et des centaines dans le développement d’infrastructures et de technologies grâce auxquelles la région pourrait mieux faire face aux défis actuels comme le réchauffement climatique.
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