Mis à jour le 3 octobre 2024
Pourquoi utiliser le terme « Berbère » est problématique ?
Il est établi que les habitants de l’Afrique du Nord, de l’Atlantique à Siwa et de la Méditerranée aux confins du désert africain sont d’origine autochtone. Qu’ils soient arabisés ou qu’ils aient conservé leur langue originelle, ces habitants sont donc Amazighs. Pourtant, ce n’est pas par ce nom qu’ils sont connus et identifiés, mais par celui de Berbères. Un exonyme qui leur a été donné par les Grecs et les Romains et que les Arabes, lors de leurs expéditions d’invasion en Afrique du Nord, ont repris pour désigner ceux qui furent leurs ennemis dans un premier temps, puis leurs alliés et même leurs vassaux à certaines périodes de l’Histoire.
Ce nom que nous ne sommes pas donné
La désignation Berbères est ce que les ethnologues appellent un exonyme, c’est-à-dire un nom donné à un pays ou à un peuple par autrui et qui diffère du nom que ce peuple se donne lui-même. Imazighen n’y sont donc pour rien si, à travers le monde, ils sont identifiés par ce nom, du moins, aux débuts de sa diffusion. En effet, comme nous le verrons plus tard, ils sont de plus en plus nombreux, Imazighen, qui se présentent comme étant des Berbères, soit par paresse, soit par envie de rayonnement, imaginant qu’utiliser un nom déjà connu ailleurs permet une meilleure identification et une plus large diffusion de leur culture.
Ce nom ne peut toutefois pas être celui des Imazighen, puisqu’il revient naturellement à chaque peuple souverain de se nommer comme il le souhaite. Or, le nom Berbère a, selon la plupart des sources, une origine grecque; puis latine, avant d’être promu dans une large utilisation par les chroniqueurs arabes.
Dans l’Antiquité, le mot “barbaros” dont est issu le “berbère” désignait, chez les Hellènes les étrangers. Les Romains reprirent le terme pour désigner tous les peuples qui ne parlaient pas latin, n’adoptaient pas les us romains et qui, à leurs yeux, n’étaient pas civilisés. L’ensemble amazigh n’était donc pas le seul peuple à recevoir ce nom. Les Germains, les Visigoths ou encore les Ostrogoths ont reçu la même dénomination. Mais alors, pourquoi Imazighen sont les seuls à continuer à être appelés ainsi et même, parfois, à s’identifier eux-mêmes avec un exonyme ?
La réponse remonterait aux invasions arabes de l’Afrique du Nord. Les conquérants étant entrés en contact avec les Byzantins présents dans la région, héritèrent de ceux-ci les populations autochtones comme ennemis à soumettre et, par la même occasion, le même terme pour les désigner : “al barbar”.
La continuité de l’utilisation de ce nom s’explique aussi par les sources grecques et latines qui ont longtemps servi de fondement à l’écriture et à la redécouverte de l’histoire de l’Afrique du Nord par les auteurs européens. La culture amazighe étant presque purement orale, les historiens et auteurs se contentaient du nom qui comptait le plus d’occurrences dans les récits anciens, même si le nom Berbère était concurrencé par d’autres termes comme Mazices, Numides, Libyens, Maures, etc.
Enfin, l’absence d’un État national fondé sur l’identité amazighe, une Tamazgha qui aurait englobé une vaste partie de l’aire culturelle amazighe, a empêché la réhabilitation et la généralisation de l’emploi du terme Amazigh, aussi bien par ceux qui le portent que dans les sources externes.
L’exonyme Berbère a donc supplanté l’endonyme Amazigh, d’abord à cause d’une culture locale non écrite, de la non-apparition d’un véritable État-nation Amazigh et ensuite à cause de certains usages dans des contextes successifs différents, mais qui étaient tous marqués par une hégémonie culturelle exogène.
Une question de souveraineté culturelle
Comble de l’ironie, ce terme de Berbères est aujourd’hui de plus en plus utilisé par Imazighen eux-mêmes. Ces derniers, notamment ceux originaires d’Algérie, nomment leurs associations en utilisant ce terme et non Amazigh et tout le monde connaît le groupe médiatique portant le nom de “Berbère Télévision” et non pas “Amazigh Télévision”, comme on aurait pu s’y attendre de la part d’un média qui s’est donné comme raison d’exister la protection et la promotion de la culture amazighe. Ce n’est qu’un point de détail, diront certains, puisque Berbère et Amazigh portent le même sens. Mais, en réalité, ce n’est pas le cas. Berbère et Amazigh ne sont pas synonymes !
Lorsqu’on définit un peuple par le terme de Berbère, on ne définit par ce qu’il est, ce qui le caractérise ou comment le peuple lui-même se voit. En utilisant un exonyme, on définit ce peuple par ce qu’il n’est pas, ce qui n’a pas réellement de sens. Si on définit les Nord-Africains par le terme Berbères et partant de l’étymologie du mot, on comprend que cette population ne correspond pas aux Grecs anciens ni aux Romains. Mais alors, ils pourraient être des Arabes, des Gaulois, des Turcs ou des Germains, puisque tous ces peuples ne sont pas non plus grecs ou romains. Si l’on s’autorise à forcer quelque peu le trait, on pourrait dire qu’utiliser ce terme, équivaudrait à nommer une pomme une “non-poire”, ce qui est évidemment ridicule, car si un fruit n’est pas une poire, cela ne signifie pas forcément qu’il s’agit d’une pomme, mais que ledit fruit pourrait être l’un des milliers d’autres fruits qui existent.
Pire encore, lorsqu’on utilise ce terme pour se définir, on laisse aux autres le soin de nous nommer, de nous décrire, ce qui est un renoncement flagrant à une part de notre souveraineté culturelle, un renoncement qui s’ajoute à de nombreux autres comme celui de n’avoir jamais écrit nous-mêmes notre Histoire jusqu’à récemment.
Au contraire, préférer le terme Amazighs nous ramène à nous-mêmes, nous permet d’identifier clairement une vaste population au sein de laquelle ce nom est accepté par tous. Préférer le terme Amazigh va dans le sens de l’Histoire et de la quête de vérité et de réhabilitation de la mémoire dans laquelle s’est engagée une grande partie du peuple nord-africain depuis au moins la moitié du siècle passé.
En outre, le terme Amazigh restaure un lien direct avec les entités politiques et culturelles décrites par les plus anciens historiens grecs et romains et qui ont marqué l’Histoire, non seulement de l’Afrique du Nord, mais aussi de toute la Méditerranée.
Il est donc grand temps que tous Imazighen du monde se désignent et soient désignés par le nom qu’ils se sont donné il y a des millénaires et seulement par ce nom. Pour ce faire, les premiers concernés ont le devoir de cesser d’utiliser le terme “Berbères” dans leurs publications, dans leurs échanges quotidiens et, surtout, lorsqu’ils nomment leurs entreprises, écoles, associations ou médias. Il en va de l’avenir de cette culture qui figure parmi les plus anciennes et les plus riches de l’Histoire.
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